Par Sébastien Boisseau

« Faites emmerdant messieurs,
faites emmerdant ! »

Attribuée à Hubert Beuve-Méry, le fondateur du « Monde »(1), l’injonction aux rédacteurs du journal a nourri l’image de sérieux du quotidien du soir. Elle paraît avoir été taillée sur mesure pour le jazz et la musique improvisée tels qu’ils se sont longtemps pratiqués en France. Le trompettiste, improvisateur et sociologue anglais Tom Arthurs (2) montre très bien les postures développées par le jazz pour rompre avec son passé honteux (!) de musique de plaisirs (processus de légitimation des musiciens, appropriation du genre par une élite). Avec le temps, le sérieux a pris le pas sur le bonheur partagé d’une musique sensible et inventive ; d’une musique plaisante, dansante et intelligente que défend aujourd’hui une nouvelle génération de créateurs. Les musiciens de Yolk sont de ceux-là. Et ils l’ont expérimenté : le public qui rencontre leur jazz de création y trouve du plaisir. Toute la difficulté réside dans la possibilité de la rencontre : malgré toutes les étiquettes répulsives, comment amener le non-initié à goûter à l’inconnu s’interroge Sébastien Boisseau (3). L’expérience « 1 salon, 2 musiciens » dont le premier épisode s’achève ici est une réponse possible. Qui a fait ses preuves.

(1) La phrase aurait plutôt été prononcée par le patron du journal « Le Temps »,
quotidien dont « Le Monde » est l’héritier.
(2) Lire plus loin le texte de Tom Arthurs, « De l’importance des Salons »
(3) Cf. le texte de Sébastien Boisseau.

POUR FAIRE « 1 SALON, 2 MUSICIENS »,
IL FAUT… UN SALON ET DEUX MUSICIENS.

Le salon, ce sont des habitants du quartier des Dervallières à Nantes qui l’ont fourni, avec canapé, fauteuils et invités. Parfois, des associations du quartier ont pris le relais. Parmi les deux musiciens, il y a – toujours – Sébastien Boisseau. Qui, pour dialoguer avec sa contrebasse, invite un instrumentiste avec qui il pressent que l’échange sera fécond(1). Deux musiciens donc, qui, sans annoncer la couleur (surtout, ne pas faire peur !)
se lancent dans une création en direct. De la musique improvisée, un genre musical qui doit se situer au même niveau que la musique contemporaine sur l’échelle imaginaire de l’élitisme !

Pour déconnecter les préjugés, le duo dispose de plusieurs armes. Parmi celles-ci, la familiarité : invités chez un ami, un proche, un voisin, les auditeurs sont dans un environnement conçu pour se sentir à l’aise. En ouvrant la discussion après chaque morceau, en suscitant les questions, Sébastien Boisseau en rajoute encore dans la mise en relation.

Il y a aussi ce mélange de sensibilité, de connaissances, de maîtrise technique, de travail et d’imagination qu’on résume sous le mot de talent. La musique improvisée telle que la créent les duos des « Salons » c’est, vraiment, de la musique. C’était l’objectif de Sébastien Boisseau, ça n’était pas gagné d’avance.

Mais l’atout majeur d’« 1 salon, 2 musiciens », c’est la proximité. L’auditeur est assis à un mètre à peine de la contrebasse. La musique, il la sent vibrer dans sa cage thoracique, et la colle des étiquettes ne résiste pas à la puissance des sensations ainsi produites. Je pense que la proximité a aussi de l’influence sur les musiciens qui participent à l’expérience. Très à l’écoute l’un de l’autre (indispensable pour improviser ensemble), ils sont aussi en prise directe avec les réactions, le ressenti du public qui est là, sous leur nez. Cette proximité leur met une pression qui les préserve de l’entre-soi, de l’aventurisme inaudible, du « private joke », de la « musique pour musiciens ».

Dans ces conditions, la musique improvisée qu’ils produisent est non seulement maîtrisée, elle est aussi très souvent lyrique, « chantante », et procure le plaisir d’écoute qui permet d’aller plus loin encore…
L’un des déclencheurs des Salons, c’est l’installation de Yolk à la « Fabrique » du quartier des Dervallières dans une école que la ville de Nantes a transformée en ruche et pépinière artistique. Sans cahier des charges contraignant, mais avec l’idée qu’installer des musiciens et un label de jazz dans un quartier d’habitat social pouvait produire des rencontres improbables.
Des rencontres dont témoignent les photographies que Toinette a réalisées lors de chaque Salon, mettant en scène la personne accueillante, Sébastien, sa basse, et le musicien invité.

Cette première série de 20 Salons dans le quartier des Dervallières a fait naître beaucoup d’émotions et fait souffler un vent frais dans bien des têtes. Elle a aussi produit une belle matière artistique à quoi il ne faut surtout pas oublier de se référer. D’où l’idée du CD qui accompagne la restitution de ce travail. Des enregistrements réalisés sur le vif, lors de tel ou tel Salon ou d’autres créations instantanées fixées sur tel ou tel album du catalogue Yolk. Dans tous les cas, de la musique improvisée : même pas peur !

Thierry Mallevaës
journaliste, président de Yolk

(1) Matthieu Donarier (clarinette, saxophones), Will Guthrie (batterie), David Chevalier (guitares, théorbe, banjo), Guillaume Hazebrouck (clavier Fender Rhodes), Jean-Louis Pommier (trombone), Tom Arthurs (trompette), Alban Darche (saxophone), Samuel Blaser (trombone), Manu Adnot (guitare)

Crédits

Sébastien Boisseau – contrebasse
www.sebastienboisseau.com

Matthieu Donarier – saxophones et clarinettes
www.matthieudonarier.com

Manu Adnot – guitare
http://manueladnot.blogspot.fr

Jean-Louis Pommier – trombone

Samuel Blaser – trombone
www.samuelblaser.com

Guillaume Hazebrouck – clavier Fender Rhodes

David Chevallier – guitares, banjo, théorbe
www.lesonart.com

Will Guthrie – batterie, percussions
www.will-guthrie.com

Tom Arthurs – trompette
www.tomarthurs.co.uk

Alban Darche – saxophone
www.albandarche.com

Toinette – photographie
www.toinettephotographe.com
Toutes photographies © Toinette

Conception graphique & site web
www.animaproductions.com

Remerciements

Parmi les musiciens qui m’ont énormément influencés dans mon approche d’une idée de la liberté en musique il y a surtout ceux avec qui je partage la scène et l’amitié.

Denis Badault et Jean-Yves Evrard, chacun à leur manière, m’ont éclairé et beaucoup appris, ils ont donc participé indirectement à la naissance de cette musique de salon.

À tous ceux qui ont accueillis ou accompagnés cette action, merci pour votre confiance.

Merci à Toinette, Tifenn Ezano, Thierry Mallevaës, Marthe Girard, Romain Ledroit, Josiane Duroux, l’équipe de la maison de quartier des Dervallières, Céline Rouaud, Fatiha Yahiaoui, Nathalie Legeas et l’équipe de quartier des Dervallières, Marie Chapelain, toute l’équipe de la formation à la médiation culturelle, Isabelle Boulanger du Petit Faucheux à Tours, Anima Productions, Marie Dubois et Stéphanie Gaborit de Cultures du Coeur en Région Centre, Elise Martinaud, Fari Salimy…

Imaginé par Sébastien Boisseau et porté aux Dervallières par l’association Yolk, « 1 salon, 2 musiciens » a reçu le soutien financier de l’Accès, la Ville de Tours, l’association Yolk, la Fabrique, la DRAC des Pays de la Loire.

Mai 2013 :
salon pilote, jeudi de la Fabrique
invité : Matthieu Donarier

Octobre 2013 :
2 salons chez Josiane Duroux et Roselyne Buquet-Capitaine
invité : Manu Adnot

Mars 2014 :
1 salon à la Bibliothèque Emilienne Leroux
invité : Jean-Louis Pommier (trombone)

Mai 2014 :
1 salon à la Confédération Syndicale des Familles
invité : Matthieu Donarier

Décembre 2014 :
2 salons au collège de la Durantière
invité : Jean-Louis Pommier & Matthieu Donarier

Février 2015 :
2 salons à la maison de quartier des Dervallières
invité : Samuel Blaser

Mars 2015 :
1 salon à la maison de quartier des Dervallières
invité : Guillaume Hazebrouck

Avril 2015 :
1 salon à la maison de quartier des Dervallières
invité : David Chevallier

Juin 2015 :
2 Salons à l’Association de Bricolage des Dervallières
invité : Will Guthrie

Septembre 2015 :
1 salon chez Christine Garnier
invité : Matthieu Donarier

1 salon chez Fari Salimy
invité : Matthieu Donarier

1 salon à la résidence mutualité retraite des Hauts de Chézine
invité : David Chevallier

1 salon à la maison de quartier des Dervallières
invité : Tom Arthurs

1 salon pour les étudiants en Master de Management de l’université de Nantes
invité : David Chevallier

1 salon chez l’association D’clic
invité : Alban Darche

1 salon chez Edith Cariño
invité : Alban Darche

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